- PAYS-BAS (PEINTURE DES ANCIENS)
- PAYS-BAS (PEINTURE DES ANCIENS)Du XVe au XVIIe siècle, l’art néerlandais a connu un développement remarquable, dans lequel on observe cependant une grande continuité: même le passage du gothique à la Renaissance se fit sans révolution. Le fait de rassembler trois siècles d’art néerlandais en une seule étude se justifie donc parfaitement. Mais continuité n’implique pas unité et uniformité, et il est pour cette raison impossible de donner une caractéristique de l’art néerlandais qui soit valable pour plus d’une décennie.La peinture néerlandaise a des «frontières naturelles» dans le temps, mais pas sur la carte. Elle commence avec l’introduction de la technique de la couleur à l’huile (vers 1420) et s’achève avec l’avènement du provincialisme quand non seulement le rôle culturel, mais aussi le rôle politique des Pays-Bas est terminé (vers 1700). Les frontières territoriales changent continuellement: aux environs de 1400, les Pays-Bas sont un conglomérat de petits États placés sous l’hégémonie bourguignonne; dans la suite elle passera aux Habsbourg. La forte tendance à l’unification qu’exerce cette maison conduit le peuple à la résistance et même à un soulèvement qui déchire le territoire le long de frontières qui sont tout à fait arbitraires (la frontière linguistique ne joue aucun rôle dans le partage). Les Pays-Bas méridionaux ou «espagnols» restent dans l’empire des Habsbourg, les provinces du Nord veulent demeurer une confédération de petits États (sans souverain) et de villes marchandes, telles qu’elles étaient avant le partage. Après la séparation (de fait en 1609, officielle en 1648), les deux parties ont développé leur caractère propre et, peu à peu, leur art s’est épanoui différemment.1. L’époque des fondateurs (XVe s.)Il est évident que ce n’est pas seulement l’introduction de la technique de la peinture à l’huile qui a fait naître l’art néerlandais. Il y avait déjà avant cette nouvelle technique un art très poussé de la peinture murale, du vitrail (qu’on peut à peine reconstituer) et de la miniature. Il existait, dans ce domaine, des artistes de grand renom. On connaît surtout les noms de ceux qui sont partis pour la cour de Philippe le Hardi (1363-1404) et de Jean de Berry (1340-1416). Les frères Limbourg, leur oncle Maelwael (Jean Malouel), le sculpteur Claus Sluter ont droit à la célébrité. En 1399, Melchior Broederlam apporta à Dijon les célèbres volets du retable dont le centre avait été sculpté dans cette ville par Jacques de Baerze ; Broederlam les avait peints à Ypres. C’est du gothique international, représenté par les peintres cités plus haut, qu’est née la peinture néerlandaise. Cet art se caractérise par une élégance, un raffinement et une richesse qui reflétaient le mode de vie de l’aristocratie européenne. À partir de 1433 (abdication de Jacoba van Beieren, ou Jacqueline de Bavière, comtesse de Hollande), le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, régna sur un territoire plus important dans les Pays-Bas qu’en France, et il résida surtout à Gand et à Bruxelles. S’il semble qu’au tournant du siècle l’art néerlandais aurait pu se fondre dans l’art bourguignon, trente ans plus tard, c’est la culture bourguignonne qui a été absorbée par l’art néerlandais nouveau.La peinture sur panneauCe qui frappe d’abord dans cette nouvelle période, c’est la prédominance de la peinture sur panneau; les miniaturistes ont dû céder le pas aux peintres. Cela signifie que chaque œuvre dans la nouvelle technique représentait une conquête de l’art. Lorsqu’un artiste comme Jan van Eyck passe de la miniature à la peinture sur panneau, il lui faut adapter les schémas de composition à la fois au nouveau format et à la nouvelle technique. Il lui faut aussi trouver un nouvel équilibre entre le plan d’ensemble du tableau et les détails. Un Pol de Limbourg, par exemple, se sentait libre de remplir une composition de caractère surtout décoratif d’une quantité de détails réalistes. Chez un artiste comme Robert Campin (le Maître de Flémalle), le projet lui-même est tiré de la réalité qu’il observe quotidiennement. C’est là un revirement capital qui n’eût pas été possible dans la tradition de l’enluminure. Le réalisme ainsi défini exige encore une construction en perspective exacte et, pour la plupart des peintres « flamands », même si leurs œuvres ne sont pas théoriquement parfaites, du moins sont-elles visuellement satisfaisantes. La nouvelle manière de composer, jointe à la technique de l’huile qui autorise les détails les plus raffinés, permet aux peintres d’accorder une certaine indépendance aux attributs et aux symboles qu’ils introduisent dans les retables, et d’ouvrir, ainsi, la voie à l’art de la nature morte; les arrière-plans deviennent des paysages qui ont leur beauté propre et leur propre avenir dans la peinture néerlandaise. Il était réservé aux «explorateurs» du XVIe siècle d’user des possibilités qui leur étaient ici offertes. Si, dans la peinture ancienne, les attributs et les symboles étaient placés dans la composition comme des signes, pour Van Eyck et pour les peintres qui lui sont proches, il n’est plus permis d’intervenir dans le réalisme de la peinture. Le lys, symbole de la pureté de Marie, qui invariablement apparaissait dans les images de l’Annonciation, n’est plus placé au premier plan, pas plus que Marie ne tient en main la fleur symbolique. Ce qu’on voit, c’est une composition où, dans la chambre de Marie, un vase, contenant un bouquet, est mis à une place quelconque, comme par hasard, et qui peut être un symbole au même titre que de nombreux accessoires. Ce qui peut sembler un jeu intellectuel est pratiqué avec l’intention de faire retentir un écho de la vérité théologique dans la création tout entière. Le système qu’Erwin Panofsky appelle disguised symbolism , et qui a persisté jusqu’au XVIIe siècle, montre, une fois de plus, qu’une modification essentielle s’est établie entre l’ensemble du tableau et les détails.Trois maîtresLes fondements de l’art néerlandais furent jetés par Robert Campin, Jan van Eyck et Rogier van der Weyden. Les caractéristiques qu’on vient de reconnaître à l’art du XVe siècle sont une synthèse de ce qu’ils ont produit. On peut tenir ce qu’il y a de commun dans leur art pour le fondement sur lequel d’autres peintres, jusqu’à Quentin Metsys, ont bâti leur œuvre. Campin est le premier en date et son œuvre trahit parfois sa précocité. La perspective, qu’il préfère imparfaite plutôt qu’absente, n’est pas très convaincante. Le «symbolisme déguisé» n’est pas encore aussi poussé qu’il le sera plus tard chez un artiste aussi perfectionniste que Van Eyck. Celui-ci, qui avait commencé sa carrière comme miniaturiste et courtisan, avait su garder beaucoup du raffinement du gothique international. Son goût du détail, auquel la technique de l’huile allait donner de grandes possibilités, le conduisit au «super-réalisme». Il semble parfois qu’il a peur d’être trop subjectif et qu’il veut éviter l’émotion. Quant à Van der Weyden, il veut que l’œuvre d’art religieux soit perçue par le croyant comme une expérience émotive. Il s’élève au-dessus de la réalité par l’attention qu’il accorde à l’expression du visage et du geste, et s’apparente, à cet égard, à son maître Campin. Pour ses nombreux élèves, il était facile de reconstituer un répertoire standard de visages, d’attitudes, d’expressions et d’éléments de composition à partir des compositions monumentales de Van der Weyden. Cela explique que de ces trois grands maîtres, c’est Van der Weyden qui exerça la plus grande influence aux Pays-Bas et à l’étranger.À ces peintres ont succédé de nombreuses personnalités à peine moins importantes. Il faudrait citer beaucoup de noms: avant tout celui de Hugo van der Goes dont les œuvres émouvantes se caractérisent pour l’essentiel par l’attention qu’il accorde à l’expression des visages et aux gestes. Ensuite le précieux Dirk Bouts, le doux Hans Memling, Gérard David, qui travaille aussi à Bruges, et tant d’autres dont certains portent des noms provisoires. Chacun d’eux se reconnaît à sa puissante personnalité, mais la période qui va de 1420 à 1500 environ a une telle unité qu’une introduction à l’œuvre des trois fondateurs est la meilleure introduction à la période tout entière. Les artistes qui se sont tenus à l’écart des villes des Pays-Bas du Sud, et dont le génie s’est développé grâce à, ou malgré, un certain provincialisme, occupent une place particulière: surtout Geertgen tot Sint Jans (Gérard de Saint-Jean) et Jérôme Bosch. Le premier était frère lai à Haarlem. On a dit que ses œuvres étaient typiquement nord-néerlandaises, mais l’œuvre de ses prédécesseurs et de ses contemporains est à peu près inconnue. Son charmant réalisme nous paraît venir de sa naïveté plutôt que d’une tradition locale.Jérôme Bosch travailla à Bois-le-Duc. Il vécut, semble-t-il, dans un isolement artistique plus grand encore que celui de Geertgen. Comme celui-ci, il devait beaucoup à l’art de la miniature. Ses monstres et ses diables paraissent sortir des «drôleries» des anciens manuscrits. Le penchant qu’il avait à se spécialiser en certains sujets est peut-être dû à son caractère, mais donne cependant à soupçonner que, déjà de son temps, il y avait un commerce d’objets d’art qui lui permettait d’écouler ses Enfers et ses Tentations hors de sa ville. Bosch serait donc le premier des nombreux «spécialistes» qui ont alimenté le marché de l’art au XVIe et au XVIIe siècle. Pieter Bruegel l’Ancien et d’autres peintres du genre ont pu puiser dans l’œuvre de Bosch des quantités d’éléments et des caricatures de la vie quotidienne. L’œuvre de Jérôme Bosch fait donc en quelque sorte le lien entre le siècle des fondateurs universels et celui des expérimentateurs spécialisés.À la limite de deux sièclesDirectement rattaché à la lignée impressionnante des «primitifs», Quentin Metsys rassemble tout ce qui était nouveau et important dans leur œuvre. En même temps, sa production semble être un regard clairvoyant sur tout ce qui va se passer dans le XVIe siècle si mouvementé.L’art de Metsys possède cet ineffable «équilibre classique» entre la tradition et la nouveauté que possédaient, au même moment, quelques rares artistes italiens de la haute Renaissance et qui rend leur œuvre si fascinante. Metsys est le premier Flamand chez qui les apports de l’art italien jouent un rôle important. Quand il subit l’influence de Léonard de Vinci, il le fait pour approcher de plus près un idéal que ses prédécesseurs avaient aussi tenté d’atteindre. Les compositions monumentales, l’expressivité du regard et du geste pouvaient être plus élaborés qu’auparavant et, en même temps, l’équilibre pouvait être gardé. Chez Metsys, peinture du caractère, charme et puissance vont de pair.L’«équilibre classique» allait durer moins longtemps encore que dans l’art italien. Une des facettes du talent de Metsys risque parfois d’attirer trop l’attention. Par exemple, on pourrait dire que le Portement de croix (Mauritshuis, La Haye) est une étude de caractère de quatre types de méchanceté; le résultat est captivant, mais il l’est aux dépens du climat religieux. Les paysages ne servent plus seulement d’arrière-fonds, le sentiment de la nature sert de «basse continue» au sentiment du sujet représenté (Lamentation , musée des Beaux-Arts, Anvers). Les peintres flamands, après Metsys et sur ses traces, se spécialisent. Le paysage évocateur de tant de sentiments devient un sujet indépendant, l’étude de caractère (étude de têtes) aussi. De nombreuses spécialisations voient le jour. L’histoire de l’art progresse tout autrement que durant le XVe siècle, par le truchement de nombreux petits maîtres. Leurs noms ne sont plus guère connus que des professionnels de l’histoire de l’art, mais leurs productions font de l’art néerlandais du XVIe siècle l’art le plus révolutionnaire de son temps.2. L’époque des explorateurs (XVIe s.)Aucun siècle n’est autant marqué par le changement que le XVIe siècle. Une histoire de l’art qui ne s’attacherait qu’aux grands noms aurait tendance à tenir cette période pour une période de transition, entre Metsys et Rubens, pauvre en œuvres de génie, à part, bien entendu, celles de Pieter Bruegel. Aussi l’essentiel de ce siècle ne peut-il être vraiment compris dans une telle perspective.Des élites nouvellesDepuis Quentin Metsys, Anvers est la ville de l’avenir, Bruges celle du passé. À partir de ce moment, ce sont les magnats du négoce et de la finance qui passent les grandes commandes et qui impriment leur propre sceau à l’art, sans du tout se conformer à l’aristocratie internationale. Il y a de plus en plus de commandes émanant des autorités communales. Ces élites nouvelles, municipales ou communales, qui, brusquement, prenaient rang, rompaient avec le passé. Pour lors, l’idéal de vie ne s’inspire plus uniquement de l’Église, mais aussi des Anciens. Le marchand soumis aux caprices de la fortune doit administrer sagement ses biens terrestres, mais il ne peut pas s’y attacher; il doit être stoïcien aussi bien que chrétien. C’est la raison qui rend l’homme bon; quand ce n’est plus elle qui serre la bride aux sens, l’homme cède au péché. La situation de l’homme moderne est aussi difficile face à l’Église nouvelle que devant l’ancienne car, comme Érasme, il cherche en vain dans l’une comme dans l’autre la réalisation de ses idéaux. Il participe à la culture humaniste qui, bientôt, cesse d’être l’apanage de quelques grands hommes, mais se répand et devient accessible à beaucoup. L’artiste s’affranchit de l’artisan pour passer du côté des «génies», à l’exemple de ses collègues italiens, et les commanditaires deviennent des mécènes. Peintre et protecteur des arts peuvent débattre d’Ovide, de Plutarque et de l’art italien. L’iconographie se renouvelle plus au cours de cette période qu’elle ne le fit avant ou après. Certes, à côté des inventions, certaines formes picturales se maintiennent pour les grands sujets religieux. L’accent se déplace plutôt de la vérité théologique et de la contemplation vers l’éthique. C’est ainsi que la parabole de l’Enfant prodigue se mue en une allégorie de la sottise de l’homme qui se laisse guider par ses sens. L’éthique fondée sur l’«art de bien vivre» (Wellevenskunst , D. V. Coornhert) relève de la raison, et l’art également. Les mythologies et les allégories prennent le pas sur les sujets bibliques et donnent même lieu à de véritables traités en images. Mais le ton d’avertissement, d’appel à la prudence, se reconnaît aussi, pour peu que l’œil s’y habitue, dans les natures mortes qui sont des emblèmes de vanité, ou dans des kermesses paysannes, paradigmes repoussants de la vie soumise aux plaisirs et non à la raison.Les genres: portrait et paysageLa plus grande innovation iconographique est certainement l’apparition des genres qui sont indépendants du contexte de l’art religieux du XVe siècle. On a déjà remarqué que le paysage indépendant s’est développé à partir des arrière-plans des retables. Une même tendance a stimulé l’art du portrait qui avait commencé, avec hésitation, à mener avec Van Eyck sa vie propre: maintenant, au lieu des pieuses figures de donateurs discrètement agenouillés dans les retables, apparaissent les orgueilleux portraits destinés aux hôtels des bourgeois.Metsys est le premier portraitiste du siècle; après lui viennent Jan Gossaert ou Gossart et Jan van Scorel. Leur désir de faire ressortir la personnalité du modèle, de façon très vivante, par un regard ou un geste, conduit parfois à une tension, à une sorte d’inquiétude qui contraste singulièrement avec leurs références à la haute Renaissance italienne. La même tension caractérise souvent leurs tableaux historiques qui sont très attachants.Chez Scorel, ce sont les sujets religieux qui restent les plus nombreux; chez Gossaert, les sujets mythologiques. Une ambiguïté, hélas sans beaucoup de tension, caractérise l’œuvre de Pieter Coecke van Aelst, peintre productif et influent. Ce qu’il enseignait à ses contemporains, c’est la manière d’emprunter autant d’éléments que possible à la Renaissance sans rompre avec la tradition du XVe siècle. Bernard van Orley, aussi, qui possédait une plus forte personnalité et qui fut fortement influencé par Raphaël (dont les cartons de tapisserie furent exécutés à Bruxelles), réussit à rassembler les éléments nouveaux en un tout qui respire encore l’esprit du siècle antérieur. C’est dans ses cartons pour des tapisseries représentant des événements historiques qu’il comprit le mieux l’esprit du nouveau temps.L’assimilation des éléments étrangers dans les «nouveaux» genres était moins grande. Seuls l’élève de Scorel Anthonie Mor van Dashorst (Antonio Moro) et ses disciples (Adriaen Key, Frans Pourbus l’Ancien) ont veillé à ce que le portrait néerlandais soit incorporé à la mode internationale qui régnait dans les cours de France, d’Espagne et d’Italie. D’ailleurs, la plupart des œuvres d’Antonio Moro sont nées hors des frontières néerlandaises.Joachim Patenier ou Patinir fut le premier peintre paysagiste des Pays-Bas. Ce qui jusqu’à Metsys était un arrière-plan, même s’il était important, devient pour lui le sujet principal; l’élément narratif devient accessoire. Dès le début de sa carrière, il essaie de créer une unité entre les différents plans de ses paysages; il réussit également à placer de façon convaincante ses personnages dans leur environnement. Ses successeurs ne sauront pas chaque fois résoudre ces problèmes de manière aussi harmonieuse. Chez Herri met de Bles, par exemple, il y a toujours une séparation nettement sensible entre le premier plan et le lointain. Ce peintre a une manière très détaillée, lisse et un coloris discret tout en nuances. Il est le premier qui a introduit dans ses paysages des éléments non religieux. Après les paysages de fantaisie de ces deux peintres, où le fantastique s’introduisait de plus en plus, l’œuvre de Jan van Amstel (le Monogrammiste de Brunswick) semble imprévue. Plus de rochers sauvages, mais des paysages charmants avec des montagnes dans le lointain, qui pourraient s’y trouver en réalité. La composition semble s’être faite au hasard et, en tout cas, elle n’est plus construite selon un ordre régulier de cimes rangées l’une derrière l’autre. Seul Pieter Bruegel possède un sentiment plus profond encore des lois de la nature que l’artiste doit sentir quand il «recrée» le monde extérieur. Après Bruegel, une conception décorative et une conception «naturaliste» de la nature coexistent encore. On citera Jacob Grimmer, Lucas van Valckenborg et Gillis Mostaert, tous représentants de l’école naturaliste; on parvenait à rendre les chutes de neige, les brouillards et les brumes, et même les incendies de nuit.Metsys a grandement contribué à l’émancipation du tableau du genre. Quelques grands bustes avec des têtes caricaturales, qui font penser à Léonard de Vinci, jouent avec beaucoup d’emphase une scène exemplaire: des vieillards égrillards qui veulent acheter l’amour, ou des changeurs cupides, sont la proie d’un ou de plusieurs péchés capitaux. Des continuateurs comme Marinus van Roymerswaele ont poussé plus loin encore cet aspect de l’œuvre très variée de Metsys. Comme peintre de genre, Jan van Amstel place ses personnages dans un intérieur ou une vue de ville auxquels il accorde autant d’importance qu’aux personnages: figure et environnement forment un tout indissoluble. Pieter Aertsen, par contre, aime les grandes figures et les énormes natures mortes qui semblent se presser à l’avant du tableau, en contraste flagrant avec les tout petits intérieurs et les petites échappées à l’arrière.Les personnages de Aertsen se meuvent avec une élégance maniérée, mais leurs vêtements et leurs visages sont ceux des villageois flamands. Jan Sanders van Hemessen fait penser à Aertsen, mais plus encore à Metsys. Un élève de Aertsen, Joachim Beuckelaer, lui est fortement apparenté.Le peintre de genre le plus important est évidemment Pieter Bruegel; mais son apport au paysage est aussi considérable. Sur ses peintures riches en personnages, la ligne d’horizon est située très haut; ces œuvres sont en même temps des «tableaux de mœurs». Plus tard, il créa un nouveau type de peinture de genre qui allait influencer le développement de cet art et qui a trouvé de nombreux imitateurs: la scène villageoise dans un paysage, où les groupes de personnages et le paysage ont une égale importance dans la composition.Il faut évoquer enfin les peintres d’histoire. Leur art est souvent celui qui s’est le moins renouvelé; plus souvent encore, c’est le moins attrayant de ceux que le siècle a produits. On trouve, dans le Nord comme au sud, les derniers partisans du XVe siècle qui restaient fidèles à l’art ancien dans une version maniérée; on les appelle généralement les «maniéristes anversois». Lucas de Leyde qui, avec Gossaert et Van Scorel, est un des premiers romanistes néerlandais, se distingue nettement de leurs groupes.L’influence de Dürer, sensible chez beaucoup de ses contemporains, est très marquée chez Lucas de Leyde. Chez lui comme chez Gossaert et Van Scorel, la connaissance des éléments italiens a encore la fraîcheur de la découverte. Vers le milieu du siècle, on arrive à un stade où tout ce qui vient du passé local est rejeté, comme si l’originalité pouvait souffrir d’une contrainte imposée par la tradition. L’Anversois Frans Floris, dont le grand atelier de haute renommée exerçait une remarquable influence, s’appliquait à prendre pour modèles les fresques de Michel-Ange. Son coloris est sobre et harmonieux et va graduellement vers les tons vénitiens: son coup de pinceau est souple et contribue à adoucir le modelé. Son idéal éclectique, qui est d’unir la couleur vénitienne à la ligne florentine, doit avoir été la base de son succès. Par contre, chez le Néerlandais du Nord Maarten van Heemskerck, la couleur, le dessin et l’éclairage sont plus durs et plus clairs; chez lui, les personnages inspirés de Michel-Ange ont l’air de statues de pierre immobilisées dans des attitudes crispées. Le Flamand Maarten de Vos, lui, est plus près de la peinture vénitienne que du maniérisme florentin; il travailla d’ailleurs dans l’atelier de Tintoret. En 1555, Dirck Barendsz, d’Amsterdam, fut introduit dans l’atelier de Titien. Un désir, typiquement néerlandais, de juxtaposer les éléments de la composition comme des choses équivalentes crée dans son œuvre principale (Adoration , musée de Gouda) une agitation qui est très nordique, bien que son coup de pinceau soit vénitien.À la fin du siècle, la plupart des peintres d’histoire s’éloignent dans leurs compositions du maniérisme sans pour autant le remplacer par quelque chose de nouveau. La génération de peintres d’histoire formée après la fureur iconoclaste de 1566 semble briller surtout par la prudence. C’est à ce milieu-là qu’appartiennent Adam van Noort et Otto van Veen, les maîtres de Rubens. Comme eux, Abraham Janssens aspire au classicisme; dans ses œuvres imposantes, son clair-obscur paraît être influencé par Caravage, dix ans environ avant que cette influence se fasse sentir à Utrecht et à Gand. Les nouvelles tendances s’exprimaient plutôt dans un petit groupe d’adeptes de Bartholomeus Spranger.Une période de transitionAu tournant du siècle, un art nouveau naît en Europe: Caravage, Carrache, Elsheimer, Rubens... Dès que l’art du XVIIe siècle prend vie, il se libère complètement du passé. Ce passé peut être résumé en un seul mot: maniérisme. Certes, l’art «officiel» des peintres d’histoire, inspiré par les Italiens, mérite ce nom. Juste avant la fin du XVIe siècle, ce courant avait eu une arrière-saison florissante, de grande importance pour les Pays-Bas, quoique le maniérisme n’ait jamais été autant un mouvement international que pendant ce tardif épanouissement. L’affectation, l’artificiel de ces figures et des allégories qu’elles interprètent ont été poussés à l’extrême. Chaque doigt devait être expressif, chaque vêtement devait être en mouvement, chaque attribut devait être un symbole.À Prague, l’empereur Rodolphe II avait tenu un rôle important dans la formation de ce mouvement. Il mettait ses artistes au service de la curiosité encyclopédique qu’il portait aux sciences. Ils étaient obligés de peindre des reproductions fidèles des spécimens qu’il ne pouvait pas rassembler in natura dans ses collections variées (Kunst-und Wunderkammer ). C’est ainsi que les paysages avec des animaux et les paysages topographiques de Roeland Saverij (Savery) ont fait leur apparition. Les tableaux de fleurs «encyclopédiques» de Jan Breughel, entre autres, appartiennent eux-mêmes au style de la Kunst- und Wunderkammer. Le succès de ce courant fut énorme en Hollande. Des gravures faites d’après Bartholomeus Spranger, qui travaillait à Prague, ont inspiré celles de Hendrick Goltzius et d’autres fondateurs de l’école de Haarlem (les «académistes»), et aussi les tableaux d’Abraham Bloemaert qui devint le patriarche des peintres d’Utrecht. La formation scientifique de ces maniéristes les portait à dessiner d’après nature de façon objective et avec un sens très vif de l’observation, comme leurs «académies» le prescrivaient. De façon inattendue, ils ont ainsi ouvert la voie à l’art du paysage réaliste du XVIIe siècle. Il est vrai qu’ils ont innové surtout sur papier, guère sur toile et sur panneau.3. L’époque des successeurs brillants (XVIIe s.)Quand s’ouvre le XVIIe siècle, le travail de pionnier de l’art néerlandais est accompli. Le paysage et la peinture de genre s’étaient déjà émancipés. Le portrait, gloire du XVIe siècle européen, avait aussi atteint sa spécificité et avait engendré le genre typiquement hollandais du tableau de groupe (portrait en groupe de membres de corps constitués). La nature morte avait commencé sa vie indépendante, de même que les tableaux d’architecture. L’accent qui avait été mis sur la Wellevenskunst (l’art de bien-vivre) devint assez rapidement un art des «vertus bourgeoises». Les poètes Jacob Cats (1577-1660) et Johan de Brune (1598-1658) rimaillent des vers moralisateurs sur des jeux d’enfants, des ustensiles de cuisine et toutes les choses de la vie domestique et quotidienne. Les peintres de genre et de nature morte chantaient de la même façon.Cela est vrai du moins pour ceux qui peignaient des tableaux ni trop grands, ni trop chers à l’intention de toute une catégorie de gens: pour les bourgeois qui travaillaient dur et menaient une vie rangée, qui étaient, comme le peintre, membres de la chambre de rhétorique, du tir à l’arc, de la guilde. Dans leurs cadres noirs, la marine, la kermesse villageoise, les déjeuners devenaient de petits luxes permis quand l’armoire à linge et l’armoire à provisions étaient bien remplies. Quelques artistes maintenaient pourtant la haute conception de l’art du XVIe siècle, surtout les peintres d’histoire et en particulier les Flamands parce que, dans leur pays, «peintre» s’accordait encore à «cour». Lorsque, en 1625, le prince Frederik Hendrik succéda au général Maurits comme stadhouder de la «République», il ne put trouver des artistes pour décorer ses palais qu’à trois endroits: Haarlem, Utrecht et surtout Anvers qu’il avait espéré pouvoir conquérir, avant la paix de 1648. Dans toutes les autres villes, du moins en Hollande, on produisait des natures mortes, des tableaux de genre, beaucoup de paysages et énormément de portraits. Le XVIIe siècle n’est pas, comme le XVIe siècle, une époque de chercheurs et de novateurs, c’est une époque de régisseurs fidèles. Il est à peine croyable que, dans l’Europe de Bernin, de Vélasquez et de Poussin, un grand nombre d’artistes se contentent de peindre des sentiers dans les dunes et les rivières, des intérieurs et des cours de fermes, des natures mortes groupant un attirail de fumeur, quelques fruits ou deux ou trois poissons. Plus incroyable est le résultat de leur travail assidu. Chaque sujet, déjà très fouillé, semble conduire à un effort de composition encore plus subtil, à un coloris plus raffiné, à une lumière encore plus délicate. Le spectateur moderne pense découvrir, sous le couvert de la tradition iconographique, le premier art autonome; l’art pour l’art, non comme programme, mais comme symptôme. L’accent est tellement mis sur l’exécution que l’accélération du développement stylistique a quelque chose de fiévreux.Peut-on vraiment encore parler d’art néerlandais? L’histoire de l’art du XVIIe siècle distingue entre l’art flamand et l’art hollandais; il faut être prudent en faisant cette différence. Jusqu’en 1609, il y a uniquement les Pays-Bas, dont une partie est entre les mains des rebelles depuis déjà une génération. En 1609, les dix-sept provinces se trouvent de facto séparées en deux parties. En 1608, Rubens revient à Anvers; son énorme influence peut à peine se faire sentir dans le Nord, officiellement protestant, car, jusqu’en 1625, les commandes, que ce soit celles de l’Église ou celles du prince, venaient à manquer. Après cette date, le mécène princier lui-même, Frederik Hendrik, malgré ses achats dans le Sud, ne peut pas remédier à ce qui s’est passé seize ans plus tôt: la séparation politique provoque une lente mais inéluctable séparation culturelle.Peu après Rubens, voici Van Dyck et Jordaens. Tous trois se sont considérés comme des peintres d’histoire, bien qu’à nos yeux le troisième soit un peintre de genre et le second un portraitiste. Grâce à eux, Anvers n’est pas seulement la ville où sont passées les commandes de l’Église et des princes (palais du Luxembourg, Paris; Banqueting Hall, Londres; Torre de la Parada, Madrid; Huis ten Bosch, La Haye), mais aussi la ville où résident les grandes personnalités. En revanche, la Hollande se trouve dans une situation tout autre avec sa peinture d’histoire déclinante et une peinture de plus en plus spécialisée de petits sujets et de traditions locales. Pour 1609, on peut parler d’une différence d’accent; pour 1625, d’une différence de caractère entre les deux États. Mais une étude de la nature morte, du paysage ou du genre ne peut pas (même après cette année) s’arrêter aux frontières politiques.Les géantsAu lieu de distinguer les peintres du Nord et ceux du Sud, il semble plus fondé de les répartir en spécialistes, d’une part, et «artistes universels», d’autre part. À cette catégorie d’artistes universels appartiennent Rubens, Van Dyck, Jordaens, Rembrandt et Jan Steen. Ce n’est pas la qualité mais la composition de leur œuvre qui place Hercules Seghers, Frans Hals et Jan Vermeer dans la catégorie des spécialistes, opinion que partageaient leurs contemporains.Le retour de Rubens à Anvers, en 1608, après un long séjour en Italie, représente une révolution. Le baroque en Italie compte beaucoup de noms, mais le baroque en Flandre, c’est Rubens. Les peintres plus âgés doivent s’adapter de leur mieux, tandis que la plupart des jeunes ont la possibilité de devenir des élèves et des épigones. Dans le Nord, l’influence de Rubens est moindre; c’est surtout par les reproductions graphiques qu’elle s’est fait sentir, quoique avec un certain retard. Dans le Sud, les historiens de l’art distinguent trois périodes: avant, pendant et après Rubens. Cela ne signifie pas que les peintres d’histoire venant après Rubens et Van Dyck ne sont plus dignes d’intérêt.Caspar de Crayer et Theodoor van Loon ont créé, surtout pour les églises, de véritables chefs-d’œuvre qui ont, malgré la présence proche de Rubens et Van Dyck, un caractère et une beauté particuliers. L’influence de Caravage est très marquée dans l’œuvre de Rubens et de ses disciples. On traitera plus loin des peintres qui ont pris modèle de ce courant de l’art italien.Les portraits de Van Dyck se caractérisent par la réserve, le flegme et la distinction. Ces qualités, qui rendent ses modèles fascinants, rendent parfois ses tableaux d’histoire ennuyeux. Cet artiste recherche plus, dans ses compositions, l’harmonie et l’équilibre que le mouvement baroque. Il est assez naturel que les peintres vivant dans l’entourage de Rubens et de Van Dyck aient souvent trouvé dans les couleurs argentées et les attitudes réservées du second un contrepoids à l’exubérance du premier.Ce qu’on a appelé les tableaux de genre de Jordaens sont en réalité des allégories qui ont un but éthique, revêtant des formes de la vie quotidienne, pour faire rire les spectateurs avant de leur donner une leçon empreinte de sérieux. Aussi se rapproche-t-il plus de Bruegel que les partisans les plus fidèles de ce peintre qui sont – dans le temps seulement – ses précurseurs. L’influence de Jordaens n’a pas été étendue.Comme les trois Flamands cités plus haut, Rembrandt est à la fois portraitiste et peintre d’histoire. En tant que portraitiste, il excelle parmi les nombreux maîtres du genre. En tant que peintre d’histoire, il est unique et il est presque un self-made man . Les œuvres tardives de ce solitaire, du moins au point de vue du style, sont la conséquence ultime de tendances premières. Rembrandt est un homme seul; cet isolement l’a grandi et fut fatal pour ses élèves. Lorsque ceux-ci durent décorer l’hôtel de ville d’Amsterdam, ils parvinrent tout juste à produire un clair-obscur suranné, une palette très sombre, bref une pauvre imitation du coup de pinceau de Rembrandt, introduisant un faux-semblant de modernisme dans leur composition classique.Jan Steen aurait pu être un spécialiste discret, comme beaucoup d’autres. Sa carrière et l’estime de ses contemporains auraient pu l’y pousser. Mais l’iconographie, un peu passée de mode, qui prêchait la vertu par le rire et la peur prit alors un nouvel essor. Le genre redevient allégorie; le petit paysan devient le symbole du genre humain (Jedermann ) et les compositions de Steen acquièrent une dimension à la Jordaens. Tout comme son grand modèle, Jordaens, Steen n’a eu que peu de successeurs.Les spécialistesOn peut classer les innombrables peintures hollandaises et flamandes du XVIIe siècle, répandues dans des quantités de musées et de collections dans le monde entier, selon différents critères, mais il n’existe aucun classement vraiment satisfaisant. Les nombreuses reproductions ou, mieux encore, les souvenirs des musées et des expositions doivent donner vie à tous ces schémas. Les groupements, assez libres, que l’on propose ici donneront aux lecteurs quelques orientations dans ce domaine si vaste.Le premier quart du XVIIe siècleLe premier quart du siècle est marqué par la diversité. Toutes sortes de courants se rencontrent et s’influencent mutuellement. On a déjà mentionné les «académistes» de Haarlem et d’Utrecht. L’avenir eût été à eux si Rubens n’était pas revenu d’Italie. Grâce à une technique minutieuse et à l’emploi du petit format, Jan Breughel dit Breughel de Velours avait gardé son indépendance à l’égard du jeune Rubens, dont il subit cependant l’influence et avec qui il collabora quelquefois. La valeur de ceux qui ne pouvaient pas rivaliser avec Rubens quand il s’agissait de grandes commandes est avant tout représentée par l’œuvre sympathique et de haute qualité de Jan Breughel. Le mouvement baroque apporta à Rubens l’unité dans la composition, mais chez les autres peintres on découvre, aux sens propre et figuré, l’idée que la fleur est aussi importante que le bouquet, la couleur locale que l’impression totale, la multiplicité que l’unité. Dans cette optique, on citera les natures mortes typiquement «encyclopédiques»; on trouve aussi les grandes cuisines archipleines, au début avec encore quelques personnages, dans la tradition de Pieter Aertsen. Ensuite, ce sont des tables couvertes de vaisselle précieuse, de fleurs et de nourritures choisies; ce sont les leçons que le XVIIe siècle a héritées du XVIe et les «symboles déguisés» sont hérités du XVe siècle. Aux environs de 1600, beaucoup de gens du Sud partent pour le Nord pour des raisons économiques ou religieuses; parmi eux, il y avait beaucoup de peintres paysagistes. David Vinckboons représente la tradition de Bruegel, où se mêlent scènes villageoises et paysages. Les misérables de Pieter Bruegel n’attirent plus que le dédain ironique du citadin aux préjugés de classe étriqués. Il faut mentionner aussi Joos de Momper et Gilles van Coninxloo. Ce dernier vint à Amsterdam et exerça une profonde influence. Tous deux ont une grande expérience de la couleur et de la composition, qui va de pair avec une touche calligraphique. Dans le deuxième quart du siècle, les paysages flamands se distinguent encore des paysages hollandais par une exécution plus large; dans le premier quart du siècle, c’étaient les Flamands, sédentaires ou émigrés, qui donnaient le ton.Hendrick Avercamp, qui peint des petits paysages de neige, et Hercules Seghers, sans doute élève de Coninxloo, appartiennent au Nord. Seghers recrée les paysages fantaisistes de son maître créant des perspectives vertigineuses.En ce qui concerne le portrait, le premier grand nom parmi les peintres du premier quart du siècle est celui de Frans Hals. La virtuosité caractérise les diverses composantes de son art, son utilisation des couleurs, la puissance avec laquelle il marque le caractère de ses modèles. Cette dernière qualité se remarque dans ses portraits comme dans ses tableaux de genre. L’idéal artistique des maniéristes était, en effet, de s’imposer par la virtuosité. Son prédécesseur Cornelis Ketel passe même pour avoir peint avec les doigts et les orteils. Plus tard, la virtuosité de l’exubérance va passer à celle de la sobriété. D’autres portraitistes du début du siècle reprennent les traditions du XVIe siècle d’une manière sobre et solide, comme Michiel van Mierevelt de Delft qui était très en vue à la cour des Orange.Parmi les peintres d’architecture, il en est qui ont laissé une forte empreinte sur l’art de construire et sur la perspective, d’autres sur la somptuosité des intérieurs et sur l’élégance des mobiliers. Les derniers ont donné une nouvelle impulsion à la peinture de genre: à côté des paysans et des mendiants, les gens du monde ont place, eux aussi, dans les tableaux. Le représentant le plus distingué de ce nouveau genre est Frans Francken II, connu aussi comme peintre d’histoire. Willem Buytewech, mort prématurément, a évoqué la jeunesse dorée de la République.Le deuxième quart du XVIIe siècleLe deuxième quart du siècle donne moins l’impression de succession rapide et changeante. Il faut cependant signaler un fait nouveau. Parmi les artistes qui avaient parfait leur formation par un séjour en Italie, beaucoup en étaient revenus fervents admirateurs de Caravage, de son clair-obscur et de son goût pour des types populaires. On retrouve ce même goût dans les grands tableaux d’histoire et de genre animés d’imposantes figures, par exemple chez Gerard Honthorst, le plus important du groupe des peintres d’Utrecht. Hendrick ter Brugghen était beaucoup plus doué; son œuvre n’est pas très vaste, mais sa couleur est pleine de sentiment et ses personnages, quoique très simples, n’ont rien de vulgaire. Son retour aux Pays-Bas eut lieu avant 1620, celui de Honthorst en 1621. Il y avait également des centres de caravagisme à Gand et à Bruges, mais là, l’influence de Rubens eut vite fait de donner à ce courant un aspect démodé, puisqu’il l’avait lui-même repris, retravaillé et adapté à son génie.Sans l’effort qui fut fait vers 1625 pour atteindre à plus d’unité dans la composition et dans la couleur, le succès des caravagistes s’expliquerait difficilement. Rembrandt semble avoir très vite discerné toutes les possibilités qu’offrait cette nouvelle voie. Dans ce deuxième quart de siècle, un même but est atteint en employant des effets de lumière moins spectaculaires et une palette sobre jusqu’à la monochromie dans les natures mortes et les paysages hollandais. Depuis une dizaine d’années déjà, Esaias van de Velde et Willem Buytewech avaient fait de véritables innovations dans la peinture de paysage. Après Goltzius et son cercle, ils dessinaient les paysages d’après nature; recherchant avant tout la simplicité et fidèles à la réalité, ils arrivèrent à des résultats surprenants. Chez eux, à la différence de maniéristes comme Goltzius, le résultat n’est pas seulement limité au dessin. Jan van Goyen, Pieter Molijn, Salomon van Ruysdael, qui n’étaient qu’un peu plus jeunes, ont à leur tour créé un type de peinture qui se distingue par la simplicité de la composition, l’étendue des plaines et la légèreté de la brume, la lumière argentée et les couleurs sobres mais très souples. Ces paysages semblent reproduire cette nature hollandaise façonnée et formée par les hommes, et la rassembler dans un seul vers poétique. Les fleuves, la mer vont jouer un rôle primordial dans cet art aux teintes de terre et de brume. Après Van Goyen, on citera l’extraordinaire peintre de marines Jan Porcellis ainsi que Simon de Vlieger.Parmi les peintres hollandais de natures mortes, les plus caractéristiques sont Pieter Claesz et Willem Heda. Le verre, l’étain, l’argent, tous les objets pauvres en couleur et riches en nuances sont peints par eux avec plus de soin et plus de vraie simplicité qu’une Japonaise n’en use pour composer son arrangement de fleurs.Les Flamands préfèrent les natures mortes somptueuses, où on retrouve les coloris de la génération précédente, tandis que la composition révèle une unité baroque. Frans Snyders étale complaisamment des gibiers à plume et à poil et des victuailles. Le jésuite Daniel Seghers tresse de ravissantes guirlandes de fleurs qui entourent un cartouche de pierre taillée; un collègue anversois y peignait un relief en trompe l’œil.Le paysage flamand participait aussi au courant baroque; ceux que Rubens a peints vont, dans ce sens, jusqu’au monumental. Ses contemporains semblent avoir cherché à donner un effet décoratif plutôt qu’une interprétation personnelle. Les seuls paysages connus d’Adriaen Brouwer se distinguent cependant par une touche désinvolte et une atmosphère chargée. Brouwer est beaucoup plus connu comme peintre de genre. Comme nombre d’autres, il s’est rallié à la tradition de Pieter Bruegel. Mais ici, il ne s’agit plus de leçons de morale ou de classes sociales, mais d’êtres humains qui vivent comme des bêtes. Il semble que Brouwer ait été, de tous les peintres de son temps, celui qui avait poussé ses analyses psychologiques le plus loin, bien que pour lui l’âme humaine soit chose terrifiante. David Teniers, appartenant à la tradition de Frans Francken, s’est laissé influencer par Brouwer, mais ses villageois ne sont pas aussi sordides. Ils sont pittoresques, et grâce à cela ils plairont aux gens du XVIIIe siècle; leurs granges en ruine, leurs fenêtres cassées sont pittoresques aussi. David Teniers anime la vie villageoise d’un réalisme qui peut sembler affecté et dont le spectateur retire un plaisir purement esthétique. Adriaen van Ostade de Haarlem imite Brouwer, mais s’apparente de plus en plus à Teniers. L’avenir était à la peinture de genre animée de figures élégantes ou de scènes piquantes (parfois vulgaires) du demi-monde. Introduite par Frans Francken et Willem Buytewech, elle fut répandue par de nombreux spécialistes: le frère de Frans Hals, Dirk, son élève Jan Miense Molenaer, Pieter Codde, Anthonie Palamedesz. Le raffinement ne viendra que plus tard avec Ter Borch et Vermeer. Gérard Dou fut le premier élève de Rembrandt; bien que longtemps surestimé, il reste important pour l’histoire de l’art; à partir de l’enseignement de son maître, il créa un style bien à lui, qui se distingue par une application minutieuse et des couleurs assez dures.Ceux qui préconisaient la perspective scientifique se considéraient, dès le XVIe siècle, comme des érudits et, par conséquent, comme des artistes d’un rang supérieur. Pieter Saenredam semble s’être pris pour un «dessinateur au service d’un architecte». En cette qualité, il a offert ses services au gentilhomme, architecte et peintre Jacob van Campen. Son travail parfaitement solide et précis, que l’on peut entièrement reconstituer, porte la marque des épures du dessinateur. Ses peintures sont en réalité des dessins transcrits sur panneaux et, ensuite, rehaussés de teintes légères. Cette transposition entraîne quelque chose d’inattendu et d’inexplicable: l’artiste a su, en effet, transposer – tout comme les particularités architectoniques – l’atmosphère sereine qui règne aujourd’hui encore entre les murs blanchis à la chaux dans les grands espaces vides des églises gothiques reprises par les protestants. Devant l’œuvre de ce peintre de Haarlem, on oublie combien il est surprenant de voir un peintre d’architecture ne plus imaginer des constructions, mais se contenter de représenter des églises existantes.Le troisième quart du XVIIe siècleLe troisième quart du siècle est l’époque où les spécialistes deviennent des «géants», tandis que les «artistes universels», tel Rubens, font défaut. Pour cette raison, on est obligé ici de donner plus de place à l’art hollandais qu’à l’art flamand. On a déjà montré quelle fut l’importance des peintres restés dans la tradition de Van Dyck et de Rubens dans le Sud. Elle y était maintenue plutôt que rénovée. Rembrandt commençait à être un isolé, très admiré, mais sans disciples et même sans rivaux de quelque importance. À l’inverse de l’opinion qui avait cours il y a quelque temps, on admire les élèves de Rembrandt qui ont su se dégager de son influence, comme Carel Fabritius et Nicolas Maes.Dans ce troisième quart de siècle, on a triomphé du penchant à la monochromie qui avait régné dans la peinture hollandaise pendant le deuxième quart. Le nouveau sens de la couleur s’exprime par l’emploi des arrière-plans clairs pour des personnages vêtus de clair; c’est ce que faisait Vermeer, et il n’était pas le seul. Les cadres dorés remplacent les cadres noirs. Les leçons de composition données par le baroque ont été si bien apprises qu’on ne craint plus que l’emploi de coloris plus vifs nuise à l’unité de l’ensemble. Après avoir été des moyens de composition, les effets de lumière, à l’intérieur comme à l’extérieur, étaient devenus des fins; ils sont maintenant tellement raffinés qu’un observateur distrait pourrait fort bien ne pas les remarquer. Ce troisième quart de siècle pourrait être appelé l’époque du baroque, mais d’un baroque qui a trouvé l’apaisement et qui se traduit dans des natures mortes, dans des paysages et dans des ciels nuageux comme ceux de Jan van de Cappelle. Les cadres sculptés et dorés sont un signe, non seulement d’un sens nouveau de la couleur, mais aussi d’un surcroît de valeur accordé au tableau: la peinture cesse d’être une pièce de mobilier et devient tableau de cabinet (Kabinetstuk ), trésor des collectionneurs et des connaisseurs.Jan van de Cappelle fut certainement le peintre de marines le plus poétique de Hollande. Pour définir son œuvre et celle de Willem van de Velde, il n’y a pas de meilleure expression que «construire avec de la lumière». Parmi les paysagistes de cette époque, la figure dominante est celle de Jacob van Ruisdael. On a dit que ses vues de bois et de chutes d’eau étaient romantiques, comme si tout artiste qui trouve dans la nature l’écho de ses propres sentiments était un homme du XIXe siècle avant la lettre. Ses œuvres doivent leur perfection à un sentiment très pur de la nature et à un vif sentiment de toutes les possibilités qu’offre la science de la composition classique. Son imitateur Meindert Hobbema s’est vite contenté d’appliquer quelques formules stéréotypées.L’art de cette époque, celui de la redécouverte de la couleur et de la lumière du soleil, doit beaucoup à ceux qu’on a appelés les italianisants et qui étaient restés un peu isolés des autres paysagistes dans le deuxième quart du siècle. Leurs petits paysages italiens, truffés de paysans et de bergers, représentaient un mélange de la campagne romaine et de l’Arcadie. Dès son retour, en 1641, Jan Both fit une grande impression sur ses confrères moins attirés par les voyages. Le genre italianisant fournit au troisième quart du XVIIe siècle beaucoup de maîtres, dont le plus important fut Nicolas Berchem. Ses tableaux se distinguent par leur élégance, tant dans les figures que dans la composition. Albert Cuyp, qui n’alla jamais en Italie, fut fortement influencé par Berchem et créa un genre de paysage où l’élément «national» se mêle au courant italianisant. Pour cette raison, les tableaux de Cuyp semblent changer le désir d’aller dans ce pays chaud et lointain, désir irréalisable pour la plupart des contemporains du peintre, en un rêve consolateur. Il y a encore d’autres artistes remarquables qu’il faut se contenter de citer rapidement: Isaac van Ostade, dans la tradition des paysages animés de scènes villageoises; Philips Koninck avec ses panoramas gigantesques qui font paraître la Hollande deux fois plus vaste qu’elle ne l’est; Aert van der Neer pour qui la nature et l’état d’âme ne font qu’un et qui, donc, peint de préférence des clairs de lune, des couchers de soleil, etc.Dans la peinture de genre dominent Gérard ter Borch, Frans van Mieris, Gabriel Metsu, Pieter de Hooch et Johannes Vermeer. Van Mieris et Metsu avaient su se dégager de la pédanterie de leur maître Gérard Dou et ils avaient transformé ses tons trop vifs en richesse de couleur. Mais ils continuaient à se distinguer par la précision et l’abondance du détail. Leur influence fut déterminante dans la peinture de genre.Plus important que les peintres de l’école de Leyde, Ter Borch, le virtuose du raffinement, se tint à l’écart des grandes villes, mais il eut pourtant beaucoup d’influence. Ses tableaux rappellent les scènes militaires de la génération précédente (Pieter Codde, Palamedesz), mais sont d’une facture nettement plus fine (surtout dans la peinture des tissus), plus subtile, plus allusive, plus harmonieuse de couleur. Il en est de même pour ses portraits de bourgeois saisis dans l’intimité de leurs intérieurs modestes.On ne peut pas imaginer Vermeer sans la présence de l’école de Leyde et sans celle de Ter Borch. Il était marchand de tableaux et, sans doute, peintre amateur. Mais appliqué à Vermeer, le terme «amateur» signifie la parfaite indépendance du peintre. Ses personnages sont placés dans des espaces clairs, illuminés de soleil, devant un arrière-plan lumineux.Pieter de Hooch peignit, tant qu’il fut à Delft, des intérieurs ensoleillés, assez proches de ceux de Vermeer, mais plus chauds de couleur et dans une atmosphère plus familiale. Vermeer et Pieter de Hooch ont tous deux des affinités avec Carel Fabritius. Celui-ci avait été élève de Rembrandt; plus tard, ayant quitté Amsterdam, il se dégagea de l’influence de son maître. Il était très préoccupé par les problèmes de perspective et a certainement communiqué cet intérêt aux peintres de Delft, Vermeer et De Hooch. Tout comme eux, il s’est appliqué avec soin à la reproduction de la lumière et de la couleur comme des phénomènes dans l’espace. C’est à Delft, encore, qu’Emmanuel de Witte apprit à appliquer aux intérieurs d’église réalistes de Saenredam les principes de la perspective diagonale prônée par les Français. Bientôt, ses intérieurs d’église furent moins exacts que ceux de Saenredam. Il assemblait entre elles des parties de différentes églises gothiques ou bien il les combinait avec des éléments de fantaisie. Sa lumière devint plus intime, plus douce; des personnages habillés à la mode du temps mettent quelques touches de couleur dans les grands espaces blancs des églises.Dans la première moitié du siècle, il n’y avait eu que très peu de paysages de ville: quatre ou cinq de Saenredam et, vers 1650, deux de Vermeer. Maintenant, les frères Gerrit et Job Berckheyde, de Haarlem, et Jan van der Heyde d’Amsterdam en font un «métier à part»: un nouveau genre est né.Quand on étudie la nature morte du troisième quart du XVIIe siècle, il faut évoquer la Flandre. Jan Fijt, élève de Snyders, donne aux riches natures mortes encore plus d’élégance grâce à une composition plus souple, une couleur plus chaude et une touche plus rapide. Jan Davidsz de Heem, admirateur de Daniel Seghers, apprend, en allant habiter Anvers, à combiner l’honnête exécution hollandaise avec la somptuosité baroque. Quant au baroque modéré du Nord, il est représenté par les œuvres de Willem Kalf et d’Abraham van Beyeren.Quelques peintres de genres flamands qui n’étaient pas des adeptes de Brouwer et de Teniers ont laissé de belles œuvres. Jan Siberechts n’est pas de ceux qui croient que les champs, les bœufs, les fermières manquent de pittoresque; il pense qu’ils sont dignes de compositions monumentales. Sa lumière, qui ne laisse rien dans l’ombre, n’est pas sans évoquer les Hollandais italianisants.Le portrait garde évidemment une place de choix dans la peinture de cette époque. Gonzales Coques est un des grands portraitistes flamands. Comme Ter Borch, il place de petits personnages dans un vaste entourage, mais, chez lui, cet entourage devient un riche intérieur ou un noble parc qu’il décrit avec soin. Cet environnement donne au personnage plus de personnalité et souligne la place qu’il tient dans la société.À Amsterdam, les tableaux lisses et hauts en couleur de Bartolomeus van der Helst avaient conquis la faveur du public, alors que le style de Rembrandt devenait de moins en moins approprié à reproduire des modèles ressemblants. L’élève de Rembrandt Nicolas Maes, qui avait débuté comme peintre de genre, a créé dans la suite un type de portrait qui, par son élégance et son allant, s’adaptait parfaitement à la mode de son temps influencée par la France.Le déclin, le contrecoupLa décadence de l’art néerlandais commence peu après 1675; elle a été beaucoup discutée, mais n’a pas fait l’objet d’une vraie recherche scientifique. Il est indéniable que, vers la fin du siècle, apparaît une décadence très rapide et très grave. Les historiens nationalistes prétendent que ce déclin est dû à l’influence française. On a évoqué aussi des causes sociologiques: la prospérité, de générale qu’elle aurait été plus tôt, aurait été limitée à la fin du siècle à la richesse d’un petit nombre; la participation à l’administration de la ville aurait été réservée à une coterie.La démocratie hollandaise du XVIIe siècle a été fortement idéalisée, et l’influence française était plus visible dans la coiffure, la mode et la décoration intérieure que dans la peinture. Si des facteurs extérieurs peuvent entraîner un changement dans le style, ils ne peuvent modifier la qualité d’un art. C’est certainement à l’absence d’impulsion venant du dehors qu’il faut attribuer le provincialisme dans lequel a sombré l’art hollandais. L’art minutieux des peintres de Leyde, qui, au début, était la marque d’un groupe de peintres de genre, a contaminé tous les genres. Les peintres d’histoire de la dernière génération sont tous des élèves des peintres de genre: Adriaen van der Werf, Willem van Mieris... Même le Liégeois Gérard Lairesse, qui avait introduit à Amsterdam le style grandiose de Charles Le Brun et de Simon Vouet après l’échec de l’école de Rembrandt, tomba dans la mièvrerie quand il peignit de petits tableaux. Mais il est absurde de lui attribuer un si grand rôle dans la décadence de l’art néerlandais. La peinture anversoise connut en même temps le même déclin. Le barrage de l’Escaut mit fin au développement économique de la ville, sans que celle-ci soit devenue une ville morte. À la fin du siècle, la base spirituelle faisait plus défaut que l’appui financier pour un style qui exigeait de grands formats, des prix élevés et des commandes officielles.On sait le rôle que Rubens a joué dans la «querelle des rubénistes et des poussinistes» qui montait ainsi les esprits de la France du XVIIIe siècle. Son influence sur l’art de ce siècle a été considérable. Celle des spécialistes a commencé quand leurs œuvres ont été massivement exportées. Sans Teniers, Berchem, Wouwermans, le XVIIIe siècle européen est impensable, et, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les peintres paysagistes ont continué à s’inspirer de Ruisdael, Hobbema, Van de Cappelle et tant d’autres modestes génies du XVIIe siècle.
Encyclopédie Universelle. 2012.